Dialogue seul

Il parle dans le vide,

– « Je vous assure, me rapporte ma voisine. Il dialogue seul. »
– « Seul, c’est  donc un monologue ? »

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Non, il ne radote pas, il n’est pas comme le vieux passant, assis sur son banc, bavardant aux oiseaux, à ses dents.  Lui monologue au temps qui seul lui tient encore compagnie. Et à la compagnie du vent, il n’en finit de raconter ses idées remisées, souvenirs traînés aux lustres, de virevoltantes années qu’il ne vit pas passer, le temps de s’affairer.

 

images (1)L’instant est  autre chose.
C’est un grand  homme seul,  il ne monologue pas, quoique qu’étourdi de mots, enveloppé de sa bulle et de nos regards, il ne nous voit pas, ni ne nous entend, ma voisine  et moi incrédule qui  passons  près de lui, perdu dans un espace où nous ne sommes pas.

Il parle dans le vide, raconte son histoire, fait des mouvements de bras comme si le vide l’appelait. Lunettes noires sur le nez, il marche sur le parking, traverse la route que des voitures enfilent, oscille de la tête puis à nouveau s’anime. Il serait passé fou en d’autres temps, mais le fin fil noir qui lie sa ceinture à son oreille, donne le mot de l’histoire et nous explique l’origine de ces gestes d’ahuri. L’interlocuteur est au plus bas, en fond de poche de son pantalon, douillettement blotti dans l’entrejambe, au milieu de la rue passante, à l’entrée du carrefour…

C’est bien à cela que sont condamnés les interlocuteurs invisibles des téléphones claustrophobes, coincés dans la poche préférée de leur propriétaire, discrètement liés sans le savoir aux lieux intimes où seul, chacun s’autorise à aller.
Ce serait pourtant chaleureux, de se dire où l’on est, blotti dans un coin de sac à main, sur la table tiède du restaurant, à côté de la tasse de café ou dans la poche du costume.

images (2)-« Sais-tu où je suis » ou « d’où je te parle? » questionne-t-on souvent, comble de phrases pour préciser le lieu et recréer l’ambiance ou l’autre n’est pas.
-« Sais-tu où je t’ai installé? »,  décrirait cet espace. « Tu es sur mon oreiller, dans la poche revolver de ma veste, posé sur la table de la cuisine, sur la tablette du lavabo ou la cuvette des toilettes ».

Et le grand homme seul logue de toute  façon. Seul son discours  est déroutant pour nous visibles, simples passants. Il transforme nos rencontres et le dialogue explose avec cette tête fantomatique. la conversation surréaliste se colore  de répliques étonnantes et parfois mal à propos, pour les spectateurs obligés que nous sommes, piétons visiblement affairés à un autre bavardage quotidien.images (4)

Et l’un parlote à tout instant, quand l’autre radote à tout vent; n’y voyons de différence pour ceux-là croisés en chemin que des années en partage, de ces progrès pour des fils blancs et  dit-on, tant d’avantages. En tout lieu les quidams se ressemblent accrochés au fil de leur temps.

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