Jacques a dit : « roule! »

A la sortie du grand magasin, le roule caddie est la savoureuse course du client libéré.

Je pousse avec soulagement, le caddie bondé de sacs, jusqu’à la voiture ainsi qu’un « ouf »!, signe d’une délivrance proche. J’empile les sacs de courses dans le coffre de la voiture, puis le referme. Là est arrivé mon tour. J’ai la main! La longue allée bordée de voitures est vide, quelques piétions pressés passent leur chemin. la voie est libre, le caddie vide sent le retour à la maison, l’odeur de l’écurie,  sa légèreté le fait tressaillir, les vibrations traversent tous ses polymères, l’électricité statique le transporte.

Aller  jusqu’au garage des paniers roulants, léger enclos de  plexiglas, ne sera plus qu’une balade, un jeu furieux, où il sera le seul gagnant. Alors le magnétisme m’emporte, je maintiens des deux mains sa poigne légère et robuste, je suis prêt à la course folle.  Meneur de caddie je vais lancer l’engin, les deux pieds posés au-dessus des roues, le corps suspendu dans le vide et  glisser allègrement jusqu’à l’abri où attendent les autres rouleurs enchaînés, tout cela, sans être vu par d’autres  coursiers. Ils me verraient tel un fou à lier ou  tenteraient l’imitation, auquel cas, ma crédibilité ainsi que la partie seraient perdues.

Je prends donc  la position du lanceur, les bras fixés le long du caddie, coudes et mains bloqués à l’horizontale sur les rebords de l’engin, j’épie autour de moi dans un vaste tour d’horizon, le moindre passant dans mon champ de vision.

Et le jeu va très vite. Personne ne regarde dans ma direction, les pieds se figent dans le vide. Cela déclenche le chronomètre artificiel des instables instants. La glissade commence : un pied effleure le goudron juste pour sentir les effets du sol et le toucher, en un élan de préférence pour doper l’accélération. L’autre pied relevé se contracte de plus belle à l’unisson du corps, tendu de tous ses muscles, pour mieux valser dans les airs. La tête en girouette veille aux regards alentour.

Bonheur de glisse enfantine, liberté totale et pleine d’instants défiant les lois de la gravité.  Ne pas toucher le sol, la prouesse est là!

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Et puis tant pis pour le regard et gare à celui qui ne regarde pas!  Dommage ! la pointe du pied relance déjà, pour le plaisir de valser avec le goudron et les roues tournent plus vite quelques instants encore et font crisser le plastique dans la course engagée.  Le caddie craque dans le virage serré mais résiste.

Et soudain sur le côté, se met à glisser un autre caddie concurrent.  Une belle  vieille dame apprêtée , son sac coincé entre les bras, me toise, sourit,  puis glisse à l’imitation  vers la ligne d’arrivée. La course reprend alors de plus belle.  Nos caddies roulent à l’unisson, plus vite encore,  toutes jambes en l’air. Chacun s’accroche à sa monture, mais elle me coiffe au poteau d’arrivée.

Alors,  l’engin retrouve ses autres semblables à l’abri. Dans un dernier soubresaut il s’emboîte puis se laisse  attacher  à  son tour, à la suite du caddie de la gagnante. Et nous nous observons une dernière fois, ravis de ce combat secret, espérant  une très improbable revanche.

Rompu à l’exercice, j’admire les concurrents, adeptes impromptus à l’exutoire, lancés dans ces libres courses attachantes  des  finales  de supermarchés.

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